Le 11e Festival des Musiques Urbaines d’Anoumabo se refermait tôt lundi matin. Retour sur une semaine riche en concerts, en débats, et en actions sociales. Avec un thème central : jeunesse et immigration clandestine.
Korhogo, dans la nuit de dimanche à lundi
Il est plus de trois heures du matin sur la place de l’Indépendance de Korhogo, la troisième ville du pays, à quelques 600 km au Nord d’Abidjan. Les moins de 25 ans qui se pressent là forment une marée de têtes semée de milliers d’éclats de nacre : les sourires d’une jeunesse étourdie du bonheur de recevoir, « à domicile », une soirée du désormais incontournable FEMUA, le Festival des musiques urbaines d’Anoumabo fondé par le groupe Magic System dans son quartier d’origine, au bord de la lagune abidjanaise. À Korhogo, les voici justement qui montent sur scène, après des nuits sans sommeil passées à régler les milliards de problèmes que tout événement de cette ampleur génère. A’salfo, chanteur lead et leader-chantant du groupe qui fêtait en 2017 ses vingt ans de carrière, attaque par Anoumabo, la chanson qui rend hommage au quartier où il est né, et où toute l’histoire a commencé.
Puis il enchaîne les hits du groupe, et s’attarde notamment sur leur second album, Premier Gaou, dont est issu le tube qui les a fait connaître.
La foule en connaît les refrains, et souvent tous les couplets, bien qu’une bonne partie de ceux qui sont là n’était pas née au moment de leur sortie. C’est à eux que ce festival s’adresse en priorité. Ce sont les jeunes de leur âge qui, ignorant les dangers, sont souvent tentés de partir à l’aventure, destination l’eldorado européen, et par tous les moyens. Quitte à y laisser leur peau.
Un Gaou à Paris
Sur scène A’salfo entonne les premières paroles d’ »Un Gaou à Paris », une chanson qui raconte les désillusions d’un Africain confronté aux dures réalités de « Mbengue » (la France et par extension l’Europe), comme on dit en nouchi, l’argot urbain de Côte d’Ivoire. « Un Gaou à Paris ô, ça faisait pitié Oh oh oh…. ». Puis le chanteur s’arrête et harangue la foule, presque à la manière d’un pasteur.
« Est-ce que vous avez des rêves ? On ne peut jamais réaliser son rêve si on n’a pas confiance en soi, et quand on a confiance en soi, peu importe là où on est : on peut atteindre ses objectifs. Aller en Europe c’est pas forcément la porte du bonheur, on peut rester ici et puis réussir les gars ! (acclamations). Nous on a cru en ce qu’on faisait, on a persévéré, et c’est la musique qui nous a permis d’aller là-bas de manière légale. Si l’Afrique ne fait plus rêver, c’est à vous de permettre à l’Afrique de faire rêver. Les gars, arrêtez d’aller mourir dans la mer, arrêtez d’aller mourir au désert. »
C’est que l’immigration clandestine et les morts qu’elle laisse dans son sillage sont le thème cette année du festival, qui profite chaque année des concerts pour mettre en avant un sujet qui concerne la jeunesse du continent. Un sujet devenu crucial en Côte d’Ivoire, dont les crises politiques, militaires et économiques de la période 2002-2011 ont jeté des dizaines de milliers de jeunes sur les chemins de « l’aventure ». Malgré le retour de la paix et des investissements étrangers, le flot ne s’est pas encore tari.
Le message d’A’salfo, avec d’autres mots, aura été distillé au fil des trois soirées de concert du festival, selon l’inspiration des artistes.
Des rencontres, des ateliers sur ces thèmes, ont été organisées à Abidjan comme à Korhogo. Une manière de réfléchir ensemble aux raisons qui poussent les jeunes à partir, aux alternatives possibles. Le tout servira à remplir un livre blanc, matière à réflexion pour les gouvernants. Car le FEMUA ambitionne d’offrir bien plus que de la musique : il voudrait mettre la jeunesse face à son destin, lui donner confiance pour qu’elle se prenne en main. Il finance aussi, désormais chaque année, la construction d’une école primaire dans le pays. Enfin, le festival consacre chaque année une journée au divertissement et à l’éducation des plus petits : le mercredi, c’est le Femua Kids. Des contes, des ateliers de dessin, de lecture, et bien sur des animations et des concerts !
De l’huile sur le show
Abidjan, deux jours plus tôt.
Né et grandi à Anoumabo, le FEMUA a eu dix ans l’an dernier. Certainement l’âge de la maturité pour un festival qui n’en finissait plus de se développer, attirant chaque année davantage de monde dans les rues du village d’Anoumabo, englouti par la ville, qui observe par-delà la lagune les tours triomphantes du plateau. Cette année, le village accueillait dans l’après-midi une scène parrainée par la SACEM, où de jeunes talents ou des artistes plus expérimentés se produisaient. Les grands concerts du soir, eux aussi entièrement gratuits, ont déménagé non loin de là, sur le site de l’Institut National de la Jeunesse et des Sports (INJS), qui héberge habituellement des sportifs en formation.
Au centre, sur un grand terrain, on a monté le podium où se tiendront les « concerts géants ». Malgré une fréquentation un peu moins importante le premier soir, certainement due à la violente pluie qui s’est abattue sur la ville une heure avant l’ouverture, les concerts furent d’une très grande qualité.
Car, du Malien M’bouillé Koité (prix RFI Musiques du monde cette année) en passant par les reggaemen français Dub Inc ou l’Ivoirien-décaleur Kedjevara, chacun dans son genre a offert un show d’une redoutable efficacité. Ceux qui jouaient à domicile ont mis l’accent sur la danse. Kedjevara s’est ainsi entouré de huit danseuses et danseurs, les premières dans un registre sensuel frénétique (on n’est pas la pour vendre des cravates), les autres dans un registre acrobatique (et néanmoins sensuel, à en croire les cris du public féminin). Les Leaders, zougloumen de la soirée, eux aussi n’ont rien négligé, en convoquant quatre danseurs très doués. Sur scène, ils invitent aussi un « vieux père » dansant le zouglou des pionniers, et même un couple de danseurs s’inspirant des cultures du terroir auxquelles le zouglou a emprunté.
Sidiki Diabaté, qui clôturait cette première nuit de musiques, avait quant à lui invité les danseurs de DJ Arafat, qui ont brillé lorsque le prodige de la kora s’est livré à une compétition de coupé-décalé avec son guitariste. D’ailleurs, les sebene de guitare à la congolaise, omniprésents dans le coupé-décalé, se sont invités dans bien des concerts et des genres musicaux, comme une formule magique devenue panafricaine, toujours efficace pour déclencher la danse.
Le fils de Toumani Diabaté, très attendu, terminait son concert vers 6 h 30 du matin, tandis que le soleil se levait sur la lagune Ebrié, laissant un public épuisé et ravi rentrer chez lui.
Le samedi,
la pluie ayant été « attachée », et les images des concerts de la veille diffusées en direct à la télévision nationale, on assistait à un déferlement humain sur les pelouses du FEMUA. La soirée en effet promettait, et elle ne déçut pas. Lokua Kanza y fit souffler un vent de douceur et d’émotion, en rendant hommage à Papa Wemba, décédé trois ans plus tôt sur la scène du FEMUA. L’occasion aussi de fêter son 60e anniversaire, entouré par sa famille, ses amis, et ses poulains de l’émission « The Voice ».
Dobet Gnahoré — impressionnante sur scène, Soprano – adulé à Abidjan, faisaient ensuite monter la pression, avant que ne débarque le phénomène Yemi Alade, arrivée tout droit du Nigeria, prouvant par l’attente qu’elle suscitait l’influence de l’afro-pop conquérante venue du plus grand marché d’Afrique.
Une fois encore, quand elle eut terminé, le jour s’était levé sur les berges de la lagune Ebrié. Des pêcheurs en pirogue glissaient sans un bruit, profitant du silence retrouvé. Eux n’embarquent pas sur l’eau pour chercher l’eldorado. Ils savent peut-être qu’il commence là, juste sous leurs pieds.